Revue de presse

Article Nikkei-japon 2007

Land art sur les chemins de « La sente étroite du bout du monde »

Kaïdin Monique le Houelleur, émue par le mode de vie de Bashô et sa conception artistique, part en itinérance sur ses traces.

A l’époque d’Edo, il y a environ trois siècles de cela, c’est au troisième mois (mai dans notre calendrier actuel) de l’an 2 de l’ère Genroku (1689) que Matsuo Bashô entreprit son voyage sur la « Sente étroite du bout du monde » (Oku no hosomichi). Ce périple de cinq mois durant lesquels furent composés de nombreux poèmes constitue un héritage irremplaçable pour la culture japonaise. En fait, les véritables chef-d’œuvres comme celui-ci dépassent tous les clivages géographiques ou historiques.

La nature comme thème commun Née au Vietnam et de nationalité française, je suis actuellement basée en Côte d’Ivoire où j’y exerce mes activités en tant que sculpteur. Alors que je n’ai aucune attache particulière au départ avec Bashô, j’ai été touchée par sa façon de vivre et sa manière d’aborder la création artistique. Je viens juste de terminer un circuit qui m’a menée sur les traces de cette « sente étroite du bout du monde » de novembre à décembre dernier, et au cours duquel j’ai produit en différents lieux une trentaine d’œuvres d’installation inspirées de ses haïkus (poèmes courts).

J’étais déjà venue à plusieurs reprises au Japon, où je m’étais tout particulièrement intéressée à l’art floral et aux jardins. Néanmoins, même si j’avais déjà entendu parler du genre poétique du haïku, je n’étais pas allée plus loin à l’époque. L’occasion d’approfondir la question se présenta il y a deux ans. Tout a commencé par un ami français , poète et grand connaisseur de la culture Japonaise, qui m’a parlé de Bashô. Selon lui, il y aurait dans mes œuvres quelque chose qui fait penser au poète japonais.
Je me suis alors procurée des ouvrages concernant Bashô ainsi que des traductions françaises de ses poèmes, et j’ai ainsi compris ce que m’avait expliqué cette amie en apprenant que les haïkus de Bashô, prenant comme thèmes les paysages naturels rencontrés durant ses pérégrinations, saisissaient l’instant et le condensaient dans une forme poétique brève. En effet, le genre de sculpture nommé « land art » auquel je me suis consacrée lors de mes voyages aux quatre coins de l’Afrique consiste également en une création artistique qui utilise les éléments du décor dans lequel elle naît comme les fleurs, les plantes ou les pierres de cette région. Je pense également que l’idée de rendre compte de l’éternité en saisissant l’instant se retrouve communément dans les deux approches.

J’envisageais moi aussi de suivre les traces de Bashô et de façonner des œuvres d’installation en m’inspirant de ses haïkus et des diverses cultures locales. C’est alors que j’ai confié mes projets à un ami qui m’a approuvée et grâce auquel j’ai pu obtenir l’aide de l’Ambassade de France au Japon : voilà comment j’ai réussi à m’engager dans ce voyage sur « La sente étroite du bout du monde ».

Installations sur l’itinéraire de « la sente étroite du bout du monde ». Ma première étape fut la cascade d’Urami à Nikkô. C’est là que Bashô, au tout début de son périple, s’est réfugié derrière la cascade et a composé le poème suivant : « Pendant quelques temps / Sous cette cascade recueillons-nous / Début de l’été ».

Le projet d’exposition photographique à Tôkyô

La cascade d’Urami impressionne toujours par la masse d’eau qu’elle représente, si bien que j’ai ressenti un sentiment de solennité à l’approche du bassin. Comme nous étions à la fin de l’automne, j’ai créé une forme retraçant le chemin qui se dirige vers la cascade à l’aide de feuilles mortes. Intitulée « Chemin de méditation », cette oeuvre est la transposition de ce qu’a, à mon avis, ressenti Bashô lorsqu’il a composé son poème en comparant son entrée derrière la cascade à une ascèse. Pour moi il s’agissait également de saluer mon devancier comme pour lui dire : « M. Bashô, je m’apprête moi aussi à suivre le chemin que vous avez parcouru ».

Un peu en aval de la cascade, j’ai crée une œuvre intitulée « Ecriture d’eau » en disposant 17 pierres, le nombre de strophes d’un haïku, dans le cours d’eau. Mon expérience acquise lors de mes voyages dans les désert africains m’a permis de réaliser à quel point l’eau était indispensable à l’être humain, et j’ai voulu confronter cette sensation aux sentiments de Bashô.

Ce fut assez pénible de transporter toutes ces grosses pierres dans la rivière, mais une fois en place elles formèrent, au point de contact avec le courant, des bulles et de petits tourbillons qui ont transformé la surface de la rivière en un véritable canevas. La création spontanée au gré de ce que l’on ressent sur les lieux, sans faire appel à un croquis préalable, permet de recevoir directement ce que la nature nous donne. D’ailleurs, n’en était-il pas de même pour les haïkus de Bashô ? Par la suite, j’ai découvert également une pierre creusée de 17 trous à Kitagata, département d’Akita, que j’ai utilisée pour une autre composition.

Il m’est également arrivé de faire des créations communes avec les gens de la région. Ce fut le cas lorsque j’ai entrepris une grande installation en utilisant des rizières déjà récoltées près de la rivière Kitakami. En effet, plusieurs personnes qui habitaient aux environs sont alors venues me prêter main forte pour façonner « L’armée de paille ». S’inspirant du célèbre poème « Herbes d’été / Des soldats il ne reste / Que les traces de leurs rêves », nous avons construit des soldats de paille au milieu desquels nous avons disposé un gros sac de riz symbolisant la paix. Parmi les personnes qui m’ont prêté main forte, il y avait de nombreuses lycéennes. Lorsque je leur ai parlé de mon idée, elles l’ont trouvée très intéressante et se sont prêtées au jeu. Il nous a fallu deux jours pour exécuter cette œuvre pour laquelle nous avons tous ensemble transporté de la paille originellement destinée à nourrir les vaches. Le brouillard a choisi ce moment pour envelopper la scène d’une atmosphère presque chimérique.

Comme ce type de création est appelé à être détruit après quelques jours sans laisser de trace, j’ai demandé au photographe qui m’accompagnait de tout prendre en photo. J’ai d’ailleurs l’intention d’organiser une exposition à Tôkyô et de publier un recueil de photos dans le courant de l’année.

La prochaine fois, ce sera le Hokuriku

Ce voyage ne m’a permis de voir qu’une partie du parcours le long de « la sente étroite du bout du monde ». J’ai donc reporté à la prochaine occasion la seconde moitié qui se déroule dans la région du Hokuriku. Si j’arrive à obtenir le soutien de personnes qui se retrouvent dans mon projet, j’aimerais revenir au Japon au printemps prochain. Mon souhait est de faire connaître au monde entier le périple de Bashô et sa poésie, véritable source d’inspiration créatrice pour de nouvelles formes d’art.